De l’homme au cyborg

Par Fabrice - 16/12/2004
Processus de mutation de l’Homme-citoyen à l’Individu-consommateur
Ce texte a été publié sous la licence Creative Commons by-nc-nd pour la première fois dans la revue automatique archi-art : http://www.archi-art.net

de Sébastien Maniglier

Arrêtons nous un instant, dans la rue, prenons le temps, observons. Que voyons nous ? Un journal fait sa une sur le désintéressement des Français de la chose politique, un enfant parle au téléphone avec un copain de la T.V. qu’il va avoir pour Noël, une publicité pour un journal immobilier promet l’accession à la maison individuelle pour tous, un jeune père en roller, IPod à l’oreille, ballade son fils dans sa poussette à suspensions Mc LAREN, c’est son week-end de garde. Que voyons-nous ?

Du citoyen à l’individu-consommateur

Le citoyen pour D. SCHNAPPER [1] a le sentiment d’appartenance à une communauté politique autonome, définissant des droits et des devoirs. Or si je lève le nez de mes petites préoccupations personnelles et matérielles, je m’aperçois dans les discours des uns et des autres d’un désintérêt complet pour la chose publique. L’abstention atteint des taux records, la politique politicienne est discréditée, conséquence de son assujettissement au capitalisme et au libéralisme, réduisant à l’improbable l’ autonomie du projet de société aux intérêts privés économiques.

L’individu n’est plus citoyen, non pas parce qu’il n’a plus le sentiment d’appartenance à une idéologie politique, mais parce qu’il n’a plus le sentiment d’appartenance à aucune communauté. L’espace de l’en-commun n’a plus aucune importance aux yeux de l’individu qui se retranche dans le moi égoïste omnubilé par des conditions de survie qui doivent s’approcher le plus possible du confort illusoire. Alors, seuls mes intérêts privés comptent. Et comme tout individu qui abandonne son pouvoir politique, je compense par l’exercice de mon pouvoir d’achat qui même faible, me donne l’impression d’un investissement dans la société. Mes droits et mes devoirs sont transférés dans le champs économique. Je me fous de l ‘intérêt général et du devenir de la communauté pourvu que je puisse posséder ma voiture fabriquée à ma demande. Alors, vous comprenez, qu’on ne vienne pas me parler de co-voiturage ou de transport en commun, ça, c’est pour les autres !

Le citoyen légitimait un pouvoir étatique fort, il participait à la démocratie. Or aujourd’hui nous avons la preuve de la mascarade de la démocratie, de la fraude électorale [2] , nous assistons à l’impuissance de l’Etat face à l’économie de marché, l’Etat qui n’exerce même plus son rôle d’arbitre. Sans l’autorité de l’Etat, la notion de citoyenneté ne devient-elle pas absurde ? Les multinationales exercent un nouveau type de pouvoir, la société disciplinaire a été balayée par la société de contrôle. Le parti de l’individu est celui de la consommation, un parti qui ne fabrique pas l’espace de l’en-commun mais bien au contraire qui va dans le sens de l’individualisme. « A la demande » est le mot d’ordre de cette économie qui intègre les évolutions technologiques les plus poussées pour réaliser l’acmé du post-fordisme : l’objet de consommation personnalisé.

Mon devoir de posséder

Qui n’a jamais dit « je dois aller m’acheter ... ? ». Au martelage des campagnes publicitaires, l’individu intègre la consommation comme un devoir. Comme si la nouvelle forme de participation à la société serait de consommer. Or, jusqu’à preuve du contraire, consommer ne sert pas les intérêts d’une communauté mais une communauté d’intérêts. L’individu dont le quotidien n’est tolérable que sous prozac ou solian est un individu passif par rapport à une offre que l’industrie de consommation ne cesse d’accroître. Il n’y a plus de demandes, c’est bien là le problème des publicitaires, l’offre précède la demande.

Alors on ne consomme plus à l’échelle d’une famille, l’offre s’adresse à l’individu pour coller à sa réalité : famille éclatée, figure de l’autorité désuète, chacun est responsable de lui-même. Alors chacun se fait à manger sa barquette micro-ondable selon son envie, son humeur, sa temporalité. Puisque le foyer est éclaté, quelle serait la raison de se réunir autour du feu, ou du fourneau pour dîner ensemble ? Et puis, avec ma barquette individuelle, je peux regarder l’émission de mon choix que me propose le bouquet satellite grâce à ma T.V. qui est dans ma chambre. Il ne manquerait plus que je mange avec ma femme !

Consommateur je suis, cyborg je serai, trop cool !

L’homme théoriquement est grégaire, c’est un être de société. Or l’individu-consommateur est l’acteur-passif d’un processus de déshumanisation. L’individu-consommateur pense que ces actes ne concernent que lui, il n’a bien sûr plus la moindre mémoire des traditions, il fête la galette des rois avant Noël. Peut importe d’ailleurs, puisque la galette est un bon gâteau avec un Mickey dedans pour faire plaisir aux enfants. Et puis, c’est vachement bien d’avoir pensé à mettre la galette en Novembre, comme ça on a deux mois pour en profiter ! Alors inutile d’espérer en la moindre conscience de ce que les symboles ont de signifiant. Pourvu que ce soit « fashion », ou « in » je me moque du reste. Qui osera dire d’ailleurs que les consommateurs fashions sont des victimes ?

Ainsi l’individu-consommateur n’est qu’une étape d’un devenir dont il est là aussi l’acteur-passif, candidat à la chose nouvelle : la greffe. Le processus de déshumanisation que nous décrivons atteint une nouvelle forme qui se joue sur le rapport du corps à l’objet technologique de consommation. Le processus d’individualisation et de personnalisation de l’objet de consommation comme le téléphone portable, faisant que chacun possède un, voir plusieurs téléphones portables, franchit un nouveau pallier : le corps devient le support de cet objet, il est fixé directement sur le corps dans une temporalité qui n’est plus en rapport avec l’usage de l’appareil. Je me promène du matin au soir avec un récepteur Bluetooth fixé à l’oreille au cas où un correspondant tenterait de me joindre à n’importe quel moment de la journée. Qu’est-ce que j’ai a gagner avec un tel appareil ? J’économiserai le geste de prendre mon téléphone et de décrocher, ce qui me permet de faire autre chose en même temps, je suis multitâche. Mon téléphone est désormais une extension de mon propre corps, je n’ai qu’à incliner la tête pour décrocher, et fermer les yeux pour raccrocher. Voici le premier cyborg, version Beta en rodage. Mignonne, mais encore perfectible, encore trop humaine. Que fais Yves Rocher ?

« Entrez sans frapper ! - La technicisation a rendu précis et frustres les gestes que nous faisons, et du même coup aussi les hommes. Elle retire aux gestes toute hésitation, toute circonspection et tout raffinement. Elle les plie aux exigences intransigeantes, et pour ainsi dire, privées d’histoire, qui sont celles des choses. C’est ainsi qu’on a désappris à fermer une porte doucement et sans bruit, tout en la fermant bien. [...] » Theodor ADORNO, Minima Moralia, réflexions sur la vie mutilée p 48. [3]

La ville territoire des cyborgs ?

La ville de l’individu-consommateur serait une ville faite par des managers et des commerciaux qui étudieraient le profil de chacun, ayant le pouvoir d’achat correspondant à leur possibilité de survie, pour inventer des produits qui collent à leurs désirs déduits des données statistiques, puisqu’ils n’ont pas de demande et qu’il faut bien, tout de même, leur donner l’illusion qu’ils ont le choix. Il faudra donc déduire des désirs supposés qui vont constituer des options que pourront alors sélectionner les clients. L’urbanisme à la demande qui intègre à la fois les possibilités technologiques contemporaines comme les TIC mais aussi l’état des mentalités de la population, est parfaitement décrit par F. ASCHER [4]. Le consommateur a aussi le droit d’avoir SA ville, et puisqu’il en a les moyens, c’est le devoir de ceux qu’il paye, de lui faire cette ville.

Il n’y a aucune raison pour que l’urbanisme et l’architecture ne suivent pas le mouvement que nous décrivons, pensent certains. Les intérêts privés ont aussi pris le pas sur la ville, et là aussi l’espace de l’en-commun est balayé par l ‘individu individualiste. L’espace public est privatisé de toute part, les impasses publiques disparaissent, et l’évolution vers la résidentialisation ne cesse de prendre de l’importance. Si chacun à le droit d’avoir sa voiture, chacun désire aussi sa maison individuelle. Or comme l’espace de l’en-commun n’existe plus, et que les familles sont éclatées, les besoins ne cessent de se démultiplier. Pour un couple avec trois enfants, il faut deux maisons individuelles, chacune équipée de 4 chambres, elles mêmes chacune équipées d’une T.V., chacun ayant son ordinateur portable, et son téléphone portable et sa voiture.

Le niveau de consommation ne peut continuer à augmenter exponentiellement à l’heure où les études sur l’évolution démographique des villes annoncent que la densité des villes va connaître dans les décennies à venir des taux jamais atteint dans l’histoire de l’humanité. Si l’on prend un tend soit peu ses données en considération, on se rend compte que l’individu-consommateur est aussi un acteur-passif de la destruction de la planète et du développement industriel. Si les sommets internationaux pour l’environnement déçoivent, on se rend compte que de toute façon les mesures qu’appellent la protection de l’environnement et de l’humanité sont des mesures impopulaires. Les générations actuelles vivent dans l’illusion d’un confort et condamnent les générations futures.

L’Etat ne pouvant plus rien, seul l’individu peut encore agir en société et développer une conscience du collectif et des enjeux de l’humanité. Dans la société post-disciplinaire, les limites disparaissent en même temps que la discipline ou l’autorité. Les processus de globalisation économique effacent les limites geo-politiques, la ville disparaît, avalée par la croissance, alors émerge ce monstre informe : la métapolis. Contrairement à ce que pouvait écrire A. PICON [5], la ville n’est pas le territoire des cyborgs. La métapolis sera le territoire des cyborgs, car l’ extension biotechnologique sera alors entrée dans la norme d’un confort post-humain. La ville, bien au contraire, est l’alternative pour l’humanité.

Quelle ville projette t-on pour demain ? Comment concevoir cette ville ?



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